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"Fin de concession" par Pierre Carles
Vidéo # 2766 en Français () insérée le Vendredi 17 Juin 2011 à 9h 25m 02s dans la catégorie "Médias, Multimédia, Informatique, et Réseaux"
Durée : 02 hr 05 min 09 sec
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Cette vidéo est un film documentaire de
Synopsis :
Pierre Carles s’interroge sur la privatisation de la première chaîne de télévision française : n’est-il pas scandaleux que TF1-Bouygues ait vu sa concession renouvelée automatiquement depuis 1987 ?
Reprenant son combat anti-télé inauguré avec Pas vu Pas pris, son premier film, il se confronte aux responsables de l’information qui ont toujours évité d’aborder ce sujet tabou. Mais l’enquête ne se déroule pas comme prévu : les vieux dinosaures et les jeunes gardiens du PAF savent désormais comment s’y prendre avec le critique des médias. Pour retrouver son « fighting spirit », Carles bat le rappel de ses amis et change de méthode…
Dorénavant, finies les concessions !
Source : Internet
Interview de Pierre Carles
« JAMAIS ON N’OSE PLACER DE CAMÉRAS CACHÉES CHEZ LES PUISSANTS »
Ton film commence et s’achève sur l’évocation d’un club politico-médiatique, Le Siècle, présenté comme un lieu de pouvoir. Mais ne s’agit-il pas plutôt d’un leurre destiné à camoufler le fait que cette élite n’a plus tout à fait le pouvoir qu’elle prétend détenir ?
C’est un vrai problème. J’y pensais ce matin en lisant dans les journaux que Xavier Durringer préparait un film critique sur l’élection de Nicolas Sarkozy. Mon hypothèse, dans Fin de concession, c’est qu’il ne peut y avoir de film critique sur les hommes de pouvoir lorsque ceux-ci sont encore aux commandes. C’est la question que je pose aux responsables de l’information croisés au cours du tournage : pourquoi la télévision ne diffuse-t-elle jamais de portrait critique ou non-autorisé d’un Président de la république en exercice ? Je leur demande aussi pourquoi aucun documentaire n’a jamais été consacré au groupe Bouygues-TF1 ou à ses relations avec Sarkozy. À mon avis, si on ne peut produire ce genre de films, c’est parce que l’on touche à des intérêts politico-économiques immédiats et non à des affaires passées. On me rétorquera que le film de Durringer se prépare alors que Sarkozy est encore au pouvoir. Mais n’est-ce pas plutôt un indice que le pouvoir politique a perdu de sa superbe ? Le fait que l’on puisse enfin s’autoriser ce genre d’audaces ne prouve-t-il pas que le pouvoir s’est déplacé de la sphère politique vers la sphère économique ? Concernant le dîner du Siècle, je ne sais pas. C’est peut-être la survivance d’un pouvoir qui n’a pas totalement disparu…
C’est une franc-maçonnerie très voyante, peut-être trop ?
Tu as raison : normalement, le vrai pouvoir reste caché. La grande bourgeoisie ne s’affiche jamais en public. Cela étant, la médiatisation du Siècle est encore récente. Il y a vingt ans, j’avais tenté déjà de débusquer les membres de ce club lorsque je tournais un documentaire animalier sur la vie des élites : à l’époque, le simple fait de filmer ces gens-là au moment où ils arrivaient place de la Concorde déclenchait automatiquement l’intervention des flics. Autant dire que le Siècle, qui se réunit pour dîner tous les quatrièmes mercredi du mois, ne souhaitait guère se mettre en lumière. C’est un problème sur lequel on bute quand on veut filmer le pouvoir : savoir où il est, localiser les lieux où il se concentre. Reste que les responsables de l’information, même s’ils ne détiennent pas le pouvoir, en sont à la fois les voisins, les serviteurs et les complices. Et eux, ils sont faciles à identifier. Quand on a mené notre action contre David Pujadas, on ne s’est pas attaqué à un sous-fifre mais à un présentateur vedette du journal télévisé de 20 heures. Son interview de Sarkozy a battu des records en termes de complaisance… Avec lui, au moins, on savait qu’on ne se trompait pas de cible !
Pujadas n’est-il pas un client qui te convient parce qu’il est un journaliste « à l’ancienne », dans la lignée de ceux que tu affrontes depuis Pas vu Pas pris ?
Je crois que la facilité aurait été de s’attaquer à Jean-Pierre Pernaut, clairement identifié comme un suppôt du pouvoir, avec ses prises de position primaires contre les grévistes. Un journaliste comme Pujadas en revanche n’est pas perçu par le public comme un militant néo-libéral : plein de gens pensent qu’il fait correctement et honnêtement son boulot. Le pouvoir qu’il exerce ne consiste pas à dire aux téléspectateurs ce qu’ils doivent penser, mais à orienter leur perception du monde, par exemple en minimisant l’existence des conflits sociaux par une importance excessive accordée aux informations institutionnelles, aux résultats sportifs, aux faits divers, au « people »… Il ne cire pas ouvertement les pompes des dominants, mais écarte ou minore les informations susceptibles de les mettre dans l’embarras, comme la hausse des inégalités entre riches et pauvres, ou la misère économique, relationnelle et intellectuelle à laquelle le pouvoir condamne les sans-grades. C’est en ce sens qu’il détient une lourde responsabilité : non pas en télécommandant les gens, mais en occupant le terrain par des sujets futiles et en nous imposant un vocabulaire partisan. Comme l’expression « bouclier fiscal », par exemple, qui évoque l’idée d’une protection contre une attaque, alors qu’elle désigne un cadeau fiscal fait aux riches. En légitimant cette formule de propagande, on contribue à mettre dans la tête des téléspectateurs que les plus fortunés ne sont pas des agresseurs mais les victimes d’une agression ! C’est le monde à l’envers. Voilà de quoi sont responsables Pujadas et ses petits camarades.
Mais les gens souhaitent-ils vraiment qu’on leur parle d’autre chose ?
Dire que les gens réclament un autre type d’informations sous-entend qu’ils disposent au préalable d’une certaine indépendance d’esprit. Dans Pas vu Pas pris, François-Henri de Virieu affirmait à propos de la séquence montrant les liens de connivence entre le ministre François Léotard et le numéro deux de TF1, Étienne Mougeotte : « Les gens n’ont pas envie de voir ça. » C’était dit en toute sincérité, sans cynisme. Effectivement, si on habitue les téléspectateurs à toujours consommer les mêmes propos et les mêmes images, si on ne leur permet pas d’imaginer qu’il existe d’autres manières de décrire le monde, ils ne vont pas spontanément réclamer des choses qu’ils ne voient jamais. La demande d’une information différente passe aussi par une forme d’éducation.
C’est cela ton souhait, éduquer le spectateur ?
Si mon travail présente un intérêt, c’est de permettre aux spectateurs d’entendre un autre son de cloche que celui qu’ils reçoivent habituellement. Il ne s’agit pas d’« éduquer le spectateur », mais de le dérouter, de le bousculer et même de l’énerver parfois. Ne surtout pas le caresser dans le sens du poil.
Tu veux changer son regard ou simplement lui présenter un témoignage ?
J’ai sûrement la prétention, en tant que réalisateur, de changer la vie du spectateur en mettant en cause certains déterminismes sociaux. À l’issue des projections d’Attention, danger travail, nombre de gens sont venus nous dire : « je croyais que la seule vie possible était celle que je menais jusque-là, que je passerais pour un fou en pensant autrement, merci de m’avoir ouvert les yeux. » Pourtant ce film ne leur disait pas comment se comporter. Il leur a plutôt ouvert « l’espace des possibles » – même si je n’aime pas cette expression un peu pompeuse – en montrant que le rapport au travail qui monopolise une grande partie de nos existences pouvait se concevoir autrement.
« Les médias mentent » : ce slogan, issu du Plan B, que l’on voit apparaître dans Fin de concession, n’est-il pas une tautologie ? Combattre les médias fait perdre beaucoup d’énergie pour un résultat incertain…
Le boulot du Plan B, ex-PLPL, dépasse ce simple slogan. Il consistait surtout à expliquer comment les grands médias désinforment et manipulent l’opinion. C’est sûr, il faut beaucoup d’énergie pour un tel combat. C’est le danger avec un moulin à vent comme BHL : il ne cesse de sortir des livres et d’asséner des prêches qui nécessitent de le contrer en permanence. À se demander si ce ne sont pas des os à ronger lancés par le système, des muletas de toreros sur lesquelles on fonce tête baissée. Sarkozy fait la même chose avec sa politique répressive et sécuritaire : tout le monde se focalise là-dessus et pendant ce temps-là on ne s’occupe pas du reste.
À quoi ressemblerait un journal télévisé produit par Pierre Carles ?
D’abord, on supprimerait toute parole institutionnelle, tout effet d’annonce, toute information liée à un agenda politique, économique, etc. Ainsi on économiserait déjà 90% du JT actuel. Fini, le monopole des professionnels de la parole. On réhabiliterait l’enquête, on irait sur le terrain voir ce qui se passe chez les pauvres, on donnerait peut-être des caméras et des bancs de montage à des ouvriers, à des employés, à des chômeurs, comme à l’époque des groupes Medvekine. Et puis on infiltrerait les dominants avec des caméras cachées. Jamais on n’ose placer de caméras cachées chez une Bettencourt, un Woerth ou un délinquant financier, alors qu’on les utilise en abondance pour filmer les trafics des petits dealers. Pourquoi cette inégalité de traitement ?
On mettrait fin aussi aux cadences actuelles qui imposent aux journalistes de bâcler leur sujet en une journée. Cela suppose évidemment de changer la donne économique : il faudrait consacrer au JT les moyens de la fiction, afin de permettre des enquêtes sur le long terme, sans obligation immédiate de résultat. On cesserait par ailleurs d’appréhender la société par le seul biais de l’individu : la figure du « self made man », du héros entrepreneur ou du sauveur providentiel ont contaminé les JT et les magazines d’information, avec le message implicite que la collectivité n’a pas d’importance, que l’individu existe en dehors d’elle, qu’il s’est forgé tout seul. Car c’est ça, l’idéologie de l’information télévisée, sa propagande. Enfin, dernière mesure : envoyer la plupart des journalistes et des responsables de l’information en camp de rééducation ou de décervelage !
Est-ce que tu espères encore changer le monde ?
Disons que j’éprouve le besoin de fabriquer des propositions inattendues pour certains spectateurs, de faire naître des idées qui ne leur étaient pas venues à l’esprit. C’est une prétention que je revendique, c’est certain. Maintenant, il y a différentes manières de s’y prendre. En tant que réalisateur, j’ai le souci d’éviter la démarche autoritaire qui consiste à prendre le spectateur par la main et à lui imposer un point de vue, même si j’ai parfois cette tentation. Bien sûr, tu fais part de tes goûts au spectateur, tu as envie de lui faire partager tes découvertes, ton intérêt pour des pratiques, des démarches ou des personnes que tu juges importantes. Tu lui désignes aussi les individus que tu considères comme des ennemis à combattre. Mais est-ce que tu laisses au spectateur une certaine liberté pour se forger sa propre opinion, pour bâtir son point de vue à partir des éléments que tu as mis à sa disposition, ou est-ce que tu lui assènes une leçon ? Je pense qu’il y a une manière non autoritaire, libertaire, d’intervenir sur le regard du spectateur. C’est en tout cas celle que j’essaie de pratiquer.
Tu évoques le mot « libertaire ». Faut-il y voir une volonté de mettre à bas le monde que tu décris ?
Je pense qu’à travers mes films s’exprime une volonté claire d’engagement, un désir de changer le monde, d’opérer des révolutions. Pour autant, je ne le clame pas haut et fort, car je me méfie un peu de ceux qui, jusqu’à présent, ont voulu changer le monde de manière radicale…
Si on veut changer le monde, on ne peut pas tergiverser : faut y aller !
Il faut y aller, mais aussi faire gaffe, ne pas se montrer irresponsable comme certains types qui disent « foutons tous en l’air » en laissant les autres partir au casse-pipe à leur place. On en a vu, de ces « révolutionnaires de salon »… Si ta parole a un certain poids, il faut veiller à ne pas générer des formes de contre-pouvoir qui ressembleraient à celles du pouvoir que tu attaques. Les frontières entre pouvoir et contre-pouvoir ne sont pas toujours clairement tracées.
Tu ne veux pas être un maître-penseur…
La tentation existe, parce que c’est gratifiant de t’entendre dire « dis-moi ce qu’il faut faire, dis-moi comment agir ». C’est une responsabilité que je ne souhaite pas assumer. C’est pour cette raison peut-être que mes films, à un moment donné, basculent toujours dans une forme de dérision et qu’ils ne se terminent jamais par un mot d’ordre du genre « voilà la voie à suivre et en avant ! » Mes films ne contiennent pas de message didactique, cependant ils donnent aux spectateurs quelques outils pour, j’espère, ne pas rester passifs. Les réflexions ou les expériences présentes dans mes films invitent les gens à considérer qu’il est possible de faire moins de compromis, d’être plus radical et de dépasser certaines limites.
Est-ce que tu pourras encore réaliser un autre film sur les médias dans dix ans ?
Ce qui est en train de se mettre en place autour du téléphone portable, des jeux vidéo et d’Internet, avec l’état de dépendance que cette industrie génère chez le consommateur, constitue une entreprise d’occupation des esprits à côté de laquelle la télévision à l’ancienne est de la rigolade. Il ne s’agit même plus de relayer le point de vue des dominants, comme le fait encore aujourd’hui la télévision, mais d’anesthésier le public en lui disant : n’y pense même pas, avale de la musique au mètre et de l’image à la chaîne… À mon avis, la critique de l’information telle que nous l’entendons aujourd’hui sera totalement caduque dans dix ou quinze ans. Ce qu’il nous faudra critiquer, demain, c’est la société de la dépendance, celle qui nous rend accro à des jouets superflus pour mieux nous empêcher de réfléchir par nous-mêmes. C’est là où réside notre faiblesse : le capitalisme, lui, sait créer des utopies. L’i-phone, qu’on le veuille ou non, est une utopie, la promesse d’un monde meilleur où tous les services et les plaisirs seront à portée de main, sans effort, quasi-gratuitement. Un monde meilleur synonyme de sang et de larmes pour la majorité de la population mondiale… Mais nous, qui ne croyons pas en ces utopies bidon, nous ne parvenons pas à fabriquer les nôtres. Nous sommes incapables de contrecarrer le capitalisme avec une contre-utopie supérieure à celle qui nous submerge.
La seule option offensive résiderait-elle alors dans le « terrorisme symbolique » ?
Il ne peut qu’y avoir affrontement avec ce monde-là. Il me paraît illusoire de penser qu’on puisse construire un monde nouveau, comme si le monde existant n’allait pas nous rappeler à l’ordre. C’est la question de l’hégémonie, qui apparaît dans Volem rien foutre al païs. On y raconte l’histoire d’une guerre entre des gens de type Medef qui entendent imposer leur modèle de société à la population entière et des réfractaires à cette domination qui pourtant ne cherchent pas, eux, à imposer leur contre-modèle. Les uns veulent l’hégémonie, les autres non. C’est un combat trop inégal. Impossible de créer ton monde à part, à côté, sans que les dominants ne s’occupent de toi.
Que faire alors : résister ou détruire ?
D’abord, ne pas se résigner. Ne pas jouer les désabusés en répétant qu’on a tout essayé, qu’il n’y a plus rien à faire. Continuer de tâtonner, d’inventer de nouvelles formes d’action contre le pouvoir, de ne pas se résigner, c’est aujourd’hui déjà une victoire.
Mais ça prend du temps, de l’énergie…
On y prend aussi du plaisir. Je ne crois pas au sacrifice, au dévouement. C’est du pipeau ! Il y a un plaisir énorme à inventer des actions qui exaspèrent les puissants, qui les font sortir de leurs gonds, qui les mettent à nu.
Tu penses que la piqûre de l’insecte suffit ?
Si les piqûres se comptent par milliers, elles peuvent faire mal, peut-être même provoquer une allergie. Au moins les insectes se feront-ils plaisir.
Chez toi, ce plaisir est-il toujours aussi intense qu’à tes débuts ?
Il ne faiblit pas ! Avec les amis qui participent à nos actions, nos conneries, nos films, on s’amuse énormément. Ce n’est pas un hasard s’il se trouve toujours de vieux compagnons de route prêts à me suivre, vingt-cinq ans plus tard, comme Philippe Lespinasse lors du tournage de la séquence avec Pujadas, ou encore Bernard Sasia, Gilles Bour ou Fabrice Ferrari, déjà monteurs de Pas vu Pas pris il y a quinze ans. Il y a là-dedans quelque chose de très gamin, de très gratuit. Le plaisir de jouer, d’énerver ceux qui se prennent au sérieux… Même des jeunes nous rejoignent sur ces coups-là. Tout ça fait qu’on n’a pas envie de s’arrêter !
Les émissions de fausse critique des médias, de Schneidermann à Morandini, n’ont-elles pas pollué ton travail ?
Difficile de contrer ces imposteurs, parce qu’ils réajustent en permanence leur discours. Aujourd’hui, Schneidermann passerait presque pour un dangereux gauchiste. C’est pourtant lui, comme on le voit dans Enfin pris ?, qui cirait les pompes du PDG de Vivendi, Jean-Marie Messier, ou des patrons de chaînes privées et publiques à l’époque où il travaillait à la télé. Ce sont des gens qui se déplacent sans cesse, qui adaptent leur discours à leurs intérêts du moment. Quelques spectateurs me disent que Schneidermann et moi faisons le même travail, que nous œuvrons dans la même direction : pour moi, c’est une insulte. Changer le monde, il s’en moque. Ce monde-là lui convient parfaitement.
Pourquoi ne pas les ignorer ?
Parce qu’ils occupent le terrain. Parce qu’ils font malgré tout illusion auprès d’un grand nombre de spectateurs. Il faut sans cesse le redire : attention, vous pensez que ces gens-là sont des rebelles, mais non ! En réalité, ils ne s’attaquent qu’à des cibles périmées. On doit rappeler encore et encore ce que disait Bourdieu : contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, les choses changent très peu. La plupart du temps, elles se déplacent seulement.
Les médias ne t’ignorent pas complètement. Comment réagis-tu à leurs sollicitations ?
Les rares invitations qu’on me propose restent cantonnées à des formats très courts, où je ne pourrais m’exprimer que quelques minutes à peine, voire quelques secondes. Je ne rentre pas dans ce jeu-là. Si ton point de vue est minoritaire, tu as perdu d’avance. Je n’accepte d’y aller que lorsqu’on me donne le temps nécessaire d’exposer mon point de vue ou quand l’émission a lieu en direct. Même si je me trouve en terrain hostile, j’estime avoir alors une petite marge de manœuvre. Mais c’est rare. Je refuse d’autant plus volontiers que mon véritable moyen d’expression est l’audiovisuel, pas le verbe.
Tu ne penses pas qu’en intervenant plus souvent dans les médias, tu aurais donné une audience plus large à tes arguments ?
Non, je serais devenu un clown. Mais avec Annie Gonzalez, ma productrice, nous n’avons jamais refusé que nos films passent à la télé, à condition toutefois que ce soit dans leur intégralité, pas sous forme d’extraits ou de bande-annonce. Mes films sont relativement grand public. Il n’y a pas de raison qu’Arte, que France Télévisions ou que Canal Plus ne les diffusent pas. Pour des films qui obtiennent un nombre d’entrées honorable en salle, c’est une anomalie commerciale qu’ils restent invisibles à la télévision. J’ai sans doute battu un record : celui du réalisateur français ayant tourné le plus de long-métrages – sept ! – dont aucun n’est passé sur une chaîne française. Même la chaîne Planète, pourtant consacrée au documentaire, ne veut pas en entendre parler. Mais je ne m’en plains pas. C’est finalement assez rassurant de constater que ces films font encore peur aux responsables de la télévision.
Toujours la même histoire de connivence entre gens des médias ?
Même pas, puisque mes films ne traitent pas tous du fonctionnement des médias. Je crois que c’est ma manière de faire les choses qui leur déplaît. Je me fixe peu de limites et ce n’est pas de leur goût. Ils me reprochent aussi de ne pas respecter les « règles d’équilibre ». Selon eux, tenir un propos polémique impose de donner la parole à l’adversaire. Par exemple, quand on présente Philippe Val pour ce qu’il est dans Choron, dernière, on devrait inviter un de ses protégés à venir nous expliquer que c’est un type formidable.
On n’a donc pas le droit d’être de mauvaise foi à la télé ?
On n’a pas le droit d’être « déséquilibré », au sens où ils entendent l’équilibre. Cela gêne leur conception du débat démocratique, qui ne tient pas compte des rapports de force, du fait que certains points de vue sont hégémoniques et d’autres non. Je revendique aussi le droit de ne pas respecter le droit à l’image des personnalités publiques, de pouvoir les montrer sous un angle défavorable, parce que j’estime qu’elles ont la possibilité de se défendre par ailleurs, qu’elles disposent pour cela de moyens disproportionnés au regard des miens. Je considère qu’elles n’ont pas à polluer mon film de leur propagande. De fait, je ne donne jamais la parole à ces gens-là pour contrebalancer un point de vue qui leur serait défavorable. On me dit souvent que ce n’est pas démocratique…
Dans la mesure où mes films échappent à son contrôle, et qu’ils ne répondent pas non plus à ses normes de fabrication, il est assez logique que la télévision n’en veuille pas. L’ennui, pour elle, c’est que ce sont des films qui font pas mal d’entrées en salles et circulent énormément sur internet. Or, pour un directeur de chaîne, rien n’est plus incohérent que de refuser un film doté d’une certain potentiel commercial. Contrairement à ce qui se dit, la télévision capitaliste n’est donc pas toujours disposée à vendre la corde avec laquelle elle va se faire pendre.
On le voit dans le film, tu as participé à des émissions grand public comme Ciel mon mardi. Est-ce que ce n’était pas une chance qu’on te vire à chaque fois aussi rapidement ?
Pour des raisons qui ne sont pas toujours très claires, j’ai adopté un comportement suicidaire avec les animateurs de ces émissions. Je pensais pouvoir y faire mon trou, même si je ne me fixais pas véritablement de limites, et j’étais un peu surpris à chaque fois de me faire virer aussitôt. En général, la télé te tient avec des hauts salaires, avec des gratifications de toute sorte. A l’époque, j’avais à peine moins de trente ans et je me suis retrouvé à gagner des sommes relativement importantes pour un type de mon âge. Très vite, tu t’habitues à un certain train de vie et tu n’as plus envie de t’en passer. Effectivement, mon comportement de kamikaze m’a permis de ne pas devenir un vendu.
À les pratiquer, est-ce que tu as pu déterminer qui parmi eux était le « meilleur » médiatique ?
La meilleure crapule ? Le plus malin, c’est peut-être Michel Denisot. Je n’ai jamais réussi à l’avoir, il s’est très vite méfié de moi. Il est vrai que les gens de Canal Plus sont très adroits. Ils font encore illusion parce qu’ils savent garder un semblant d’impertinence. Ce sont les plus dangereux car ils jouent sur plusieurs tableaux, comme Bruno Gaccio et surtout Frédéric Taddeï. Mais le danger, c’est de devenir un professionnel de la contestation. C’est pour ça que j’ai quitté le terrain de la critique des médias pendant un certain temps. Lorsqu’on te colle une étiquette, tu cours le risque de devenir un produit.
Le problème, aussi, c’est de ne pas taper toujours sur les mêmes cibles…
En même temps, l’acharnement, l’obstination, pour moi, ce sont des valeurs positives. Une des plus belles actions des entarteurs, c’est la systématisation de l’entartage de BHL, jusqu’à six, sept, huit fois, sans relâche. Jusqu’à ce qu’il cesse de nous pomper l’air.
Mais il faut du renouvellement dans l’acharnement !
Oui, et ce n’est pas facile. Il faut être constamment rusé, intelligent, malin… Il faut sans cesse inventer de nouveaux dispositifs.
Des dispositifs parfois foireux !
Oui, ils le sont souvent… Mais parfois aussi ils marchent. Là, on n’est pas dans la routine, on part toujours à l’aventure. Par exemple, j’étais assez content de l’histoire du scooter de Pujadas. C’est peut-être dérisoire, mais c’est aussi profondément irritant pour lui. Quand on lui a remis une Laisse d’or pour signifier qu’il était un toutou du pouvoir, il a balayé ça de la main. Mais quand il a vu que dans le même temps on s’en prenait à un bien matériel, sa monture, on a senti qu’il était vraiment choqué : « Non ! Pas le scooter ! » Ce qui est drôle, c’est que nous l’avons mis dans la situation de ne pas pouvoir porter plainte, tellement il se serait trouvé ridicule d’aller au commissariat en pleurant : « Ils ont doré mon scooter parce qu’ils me considèrent comme un laquais du pouvoir et que je dois par conséquent rouler dans un carrosse d’or. » Imagine un peu la tête des flics… On l’avait calculé, ça. Pour moi, il s’agit vraiment d’une action d’un type nouveau. Mais elle reste à perfectionner, à systématiser…
Tu veux la renouveler ?
Pas forcément la refaire à l’identique, mais je pense qu’on a ouvert une piste. Aux spectateurs de s’en emparer, on n’est pas propriétaire de l’idée. J’espère que le film inclinera les spectateurs qui n’ont pas d’a priori négatif à l’égard de Pujadas de le voir autrement et de se méfier de ce genre de personnage apparemment inoffensif.
Dans le film, tu donnes l’impression d’être moins solitaire que dans les précédents, de te situer davantage dans une logique collective.
C’est un peu la morale du film, qui apparaît dans la dernière séquence : le salut ne viendra que du collectif. Dans mes derniers films, Enfin pris ? notamment, je suivais une logique individualiste, solitaire, façon « poor lonesome cowboy ». Depuis, j’ai pris conscience des limites de cette démarche et qu’il fallait en revenir à un mouvement collectif.
Un collectif qui n’est encore qu’une addition de solitaires…
Une addition de « franc-tireurs solitaires », disons. Des vieux compagnons comme Michel Fiszbin ou Olivier Cyran agissent seuls ou parfois en meute, ça dépend. C’est un collectif très hétéroclite. Il y a un côté Pieds Nickelés, mais ce n’est pas un problème, au contraire : cela n’empêche pas d’inventer des choses et de s’amuser. Même si l’efficacité n’est pas toujours au rendez vous, notre démarche suscite le désir de s’associer, je crois, sans pour autant faire l’apologie d’une action collective super-structurée.
Dans Fin de concession, on a également voulu mettre en avant quelques faiblesses du « Carles-critique-des-médias » qui, confronté à certains discours flatteurs ou à des journalistes de sexe féminin, a tendance à perdre ses moyens. Désacraliser le tournage, assumer ses faiblesses, admettre certaines de ses contradictions, c’est peut-être ce qui fait aussi la force du film.
Le récit rattrape le présent, il intègre des développements très récents, mais c’est un film trop frais pour déduire vers où on va aller… Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas fini. Pour reprendre le slogan scandé à la fin du film devant le dîner du Siècle : « Nous ne vous oublierons jamais. » Ce n’est pas une menace, juste une promesse
!
Propos recueillis par Philippe Person le 26 août 2010 à Paris.
La critique :
Pierre Carles, jadis poil à gratter de la télé (mais viré de partout), s’est longtemps voulu le héraut d’une certaine résistance civique et journalistique face aux collusions entre médias et politique. Pas vu pas pris (sorti en 1995) en a fait le héros du contre-«quatrième pouvoir», mais la célébrité, toute ténue soit-elle quand on se situe dans le camp des «anti», peut être un bien lourd fardeau, comme le montre Fin de concession. Quelle concession, au fait ? La sienne ?
La main aux collets
C’est à ses dépens, mais avec une lucidité et une ironie d’où transparaît une pointe d’amertume, que le Robin des bois à lunettes fait l’expérience de la célébrité, tandis qu’il cherche, dans ce nouveau documentaire, à comprendre pourquoi la concession TF1, «louée» par l’Etat au groupe Bouygues depuis 1987, année de la privatisation, est systématiquement reconduite tous les dix ans sans que plus personne n’y trouve rien à redire… Vaillamment, en bon documentariste tout-terrain, Carles appelle sur son portable les grands acteurs de l’épopée, ou les maillons de la chaîne. Bernard Tapie, Guillaume Durand, Audrey Pulvar parmi bien d’autres, sont contactés, mais pour la plupart déclinent sous les coups de boutoirs téléphoniques de Carles. Ou bien annulent l’interview au bout de 10 minutes, comme Charles Villeneuve, ancienne éminence de TF1, qui résume l’entreprise vicieuse de Pierre Carles (piéger son interlocuteur de toutes les manières possibles, puis ne pas le laisser parler quand il est ferré) en une phrase : «Vous êtes là pour me faire dire ce que vous voulez entendre, au revoir.»
Arroseur arrosé
A la démagogie des puissants hertziens se heurte donc une autre forme de démagogie, gauchiste et fière de sa misère, celle de l’éternel David contre Goliath, détenteur putatif de l’«ultime vérité». Tout cela trouve son point de rupture avec le lynchage de David Pujadas, auquel Carles décerne, au pied des locaux de France Télévisions, la Laisse d’or du journaliste le plus cire-pompes du PAF, tout en repeignant son scooter à la peinture dorée. Pathétique ? Un peu. Mais on sait gré à Pierre Carles de jouer la transparence en acceptant de reconnaître que son système de violation de la parole des grands ne fonctionne plus, que son propre personnage de journaleux anti-héros fuyant et un chouïa visqueux s’est retourné contre sa fonction… et que, peut-être, tout au fond du fond, il y aurait dans sa démarche quasi suicidaire l’amertume de ne pas faire partie du cénacle. La jalousie de ne pas être un des invités des prestigieux «Dîners du siècle», courus par les huiles politico-médiatiques, et dont Carles piste les invités en bas du Crillon, un peu minable avec sa DV Cam. C’est la parabole, étonnante, de la force des images qui finissent par se retourner contre celui qui croyait les démanipuler, et tout l’intérêt de ce documentaire sans concession, précisément, dont la longueur (2h15) n’a aucune incidence sur l’intérêt permanent qu’il suscite. Même si le sujet d’origine s’est perdu en cours de route (c’est vrai ça au fait, pourquoi l’Etat arroge-t-il systématiquement à Bouygues la propriété de TF1 ?). Un sujet de perdu, dix de retrouvés. Bonne continuation, Mister Carles. Bonne chance plutôt.
Par Luc Dalban, le 27/10/2010.
Source : ToutLeCine.com ().
« La privatisation de TF1 disséquée
Fin de concession, le prochain film de Pierre Carles actuellement en montage, s’intéresse à la privatisation de TF1 en 1987. Première enquête audiovisuelle sur « un immense scandale», le film revient sur l’environnement médiatique d’aujourd’hui, la censure, le pouvoir, le contre-pouvoir.
Dix ans après Pas vu pas pris, Fin de concession interroge les caciques de l’audiovisuel grâce à la pugnacité d’un journaliste latino-américain, Carlos Pedro, aux faux airs de Pierre Carles, « juste un peu plus barbu, avec de grosses lunettes ».
Les rapports de Nicolas Sarkozy avec le groupe Bouygues, les médias, les industriels y sont largement disséqués. »
Xavier Frison, dans Politis, n°1084.
« Fin de Concession part de deux constats. De un, il n’existe aucun documentaire de fond sur les rapports entre Nicolas Sarkozy et les médias. De deux, il n’existe pas non plus de documentaire sur la façon dont un immense groupe de BTP a pu faire main basse sur la première chaîne publique française. C’est quand même quelque chose d’incroyable : en 1987, le groupe Bouygues a littéralement acheté l’accès à un téléspectateur français sur deux ! Mais il n’a respecté aucune des promesses faites lors de l’octroi de cette concession. À tel point que celle-ci aurait pu être annulée, en 1994, si la loi Carignon n’avait pas rendu son renouvellement à peu près automatique. »
Pierre Carles interrogé par Article XI
Source : L'Homme Moderne ().
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