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La fin du journalisme d'investigation aux États-Unis indique la disparition de la démocratie américaine

Vidéo # 2930 en Français () insérée le Dimanche 31 Juillet 2011 à 6h 24m 49s dans la catégorie "Médias, Multimédia, Informatique, et Réseaux"

Durée : non renseignée


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Cette vidéo est un extrait de l'émission "Tout le monde en parle" du 10 Mai 2003 de la chaîne nationale française "France 2", présentée par Thierry Ardisson, où fut invitée Kristina Borjesson, productrice d'émissions d'information pour la télévision américaine, et licenciée de son poste, à propos de son livre "Black List" dans lequel elle dénonce la disparition du journalisme d'investigation aux États-Unis...

Présentation de l'éditeur :

Ils étaient les enfants du Watergate. Ils travaillaient pour CBS, Newsweek ou CNN et ils en étaient légitimement fiers : ils faisaient le plus beau métier du monde dans la première démocratie du monde.

Un jour, ils ont traversé le miroir. Leurs adversaires les ont harcelés. Ils ont refusé de se soumettre. Les intimidations ont redoublé. Sous la pression, leur rédaction les a lâchés. Leur seul crime : avoir enquêté là où il ne fallait pas. Sentant soudain le soufre, ils ont dû quitter le confort des télévisions et des journaux qui "font" l’opinion.

Avec un souci du mot juste et une passion pour la vérité qui forcent le respect, Black List est un livre rare. Il est devenu un exemple dans le monde entier pour tous ceux qui croient encore à la liberté de l’information.

Black List a été un best-seller aux États-Unis, par la magie du bouche-à-oreille et d’internet. Il a été sélectionné par la prestigieuse New York Public Library parmi les vingt-cinq meilleurs livres de l’année 2002.

Données techniques :

Titre : Black List
Auteur : Kristina Borjesson
Éditeur : Editions des Arènes
Date de publication : Avril 2003
Nombre de pages : 456
Format : 154 x 240
ISBN : 2-912485-51-7

Des journalistes sur liste noire :

Ils sont quinze journalistes. Ils ont reçu tous les honneurs, les plus belles distinctions, prix Pulitzer, Emmy Awards, Peabody Awards. Ils ont travaillé pour les plus grands journaux et les plus célèbres émissions d'information télévisée américaines. Ils étaient de petites ou grandes vedettes, reconnues, bien payées. Comme dans les films. Un jour, ils ont franchi une ligne invisible. Et là : censurés. Avec pressions, menaces, licenciements, procès... Toute la panoplie. Comme dans les films. Ils en ont fait un livre de témoignages, qui raconte leurs enquêtes sabotées, avortées. Il porte un titre de film : « Black List » (1), la liste noire.

Kristina Borjesson était productrice et journaliste à CBS, où elle a travaillé avec le mythique Dan Rather. Le 17 juillet 1996, le vol TWA à destination de Paris explose au large de Long Island, au-dessus de l'Atlantique. Kristina Borjesson est chargée de ce dossier par ses rédacteurs en chef. Quand elle découvre des éléments troublants sur la présence de bâtiments militaires dans les environs du drame, les ennuis commencent. Ils aboutiront à son licenciement, parce qu'elle ne veut pas lâcher son enquête, et à « Black List », parce qu'elle contacte ses confrères pour savoir s'ils se sont, eux aussi, heurtés à la censure. « Ma démarche n'était pas, et n'est toujours pas, dans ce livre, d'affirmer qu'un missile a détruit cet avion par un "tir ami", explique-t-elle. Ce que je veux mettre en lumière, c'est le nombre de pressions amicales puis inamicales que j'ai subies pour arrêter mon enquête. C'est cela qui est troublant. C'est cela qui est scandaleux. Qu'y a-t-il donc à cacher pour qu'on fracture le coffre de ma voiture, qu'on vole mes documents et mon ordinateur ? Quand j'ai commencé à appeler des confrères pour leur demander s'ils avaient connu ce genre de mésaventure, j'ai découvert que la "liste noire" était longue. »

Une presse idéalisée

Kristina Borjesson contacte quarante confrères pour leur proposer de raconter leur histoire de censure. Beaucoup refusent. « Un ancien d'ABC avait participé à l'enquête sur l'industrie du tabac qui a inspiré le film "Révélations". Il a réussi à entrer au New York Times et n'a aucune envie d'apparaître comme sulfureux, d'angoisser son journal en reparlant de ces vieilles histoires pénibles . »

Entre guerre du Vietnam et Watergate, la presse d'outre-Atlantique est longtemps apparue, en Europe, comme un modèle mythique, mélange d'obstination, d'impertinence et de résistance à tous les pouvoirs. Une idéalisation renforcée par le premier amendement de la Constitution, qui garantit la liberté de l'information sans restriction. Puis, par un retour de bâton tout aussi caricatural, le 11 septembre et la guerre en Irak ont forgé une nouvelle image des médias américains, souvent présentés, notamment en France, comme exagérément patriotes, pour ne pas dire propagandistes.

« Black List » raconte des problèmes de censure qui datent, pour l'essentiel, du milieu et de la fin des années 90. L'effet d'accumulation de ces histoires d'empêchement et d'enterrement procure une petite impression de complot permanent. C'est la limite de l'exercice.

Mais chacun raconte aussi - et l'effet de choc est garanti - ce qui arrive lorsqu'on s'attaque aux sujets interdits, sur CNN comme au San José Mercury . « Il existe deux grands trous noirs dans l'univers de l'information : les sujets qui touchent au monde militaire au sens large, et ceux qui s'attaquent aux grandes puissances économiques », résume Kristina Borjesson.

Un « éthiciste » par rédaction

« Black List » cite le président Dwight Eisenhower, dans son discours d'adieu à la nation, en 1961 : « Seuls des citoyens avertis et au fait des réalités seront à même de veiller à ce que la gigantesque machine industrielle et militaire de la défense respecte les méthodes et nos objectifs pacifiques, afin que sécurité et liberté puissent progresser de concert. » Les enquêtes destinées au pilon sur les liens étroits entre la CIA et des trafiquants de cocaïne sud-américains, sur les prisonniers américains abandonnés au Vietnam, les massacres de civils pendant la guerre de Corée ou encore la manière dont l'Amérique gazait ses déserteurs prouvent que les souhaits de l'ancien président n'ont pas été entièrement comblés.

April Oliver est une jeune journaliste à CNN, enthousiaste, professionnellement comblée et confiante en sa hiérarchie jusqu'à ce printemps 1998. Elle pénètre alors, comme elle dit, « dans la quatrième dimension ». Celle des opérations secrètes. April Oliver s'intéresse à « Tailwind », le nom de code pour désigner l'usage de gaz innervants par l'armée américaine afin d'éliminer ses déserteurs pendant la guerre du Vietnam. Tout se gâte lorsque Henry Kissinger, secrétaire d'Etat entre 1973 et 1977, et Colin Powell téléphonent à Ted Turner, le propriétaire de CNN, pour lui demander d'arrêter de rouvrir ces plaies du passé. Ted Turner, lors d'une conférence de rédaction, énonce qu'il serait temps d' « adopter de nouvelles règles en matière de journalisme ». Les témoignages recueillis ne suffisent pas, même s'ils sont nombreux et concordants, même si des acteurs du drame acceptent de se dévoiler à l'antenne. Un avocat est embauché par la chaîne. Pour aider les journalistes dans la mise en forme de leur sujet ? Non, pour les inciter à arrêter. Ils s'entêtent ? CNN les licencie. La journaliste intente un procès contre son ancien employeur. « CNN a proposé une transaction pour éviter que l'affaire ne soit étalée , raconte Kristina Borjesson. April Oliver a touché beaucoup d'argent, s'est acheté une belle maison, a pu reprendre des études pour devenir avocate. Elle a été diplômée en mai 2002. Deux mois plus tôt, la cour d'appel confirmait le sérieux de son enquête sur l'opération "Tailwind" » .

Jane Akre a eu moins de chance. En 1997, elle travaille, avec son mari Steve, pour une chaîne locale de Floride bientôt rachetée par le groupe Fox, de Rupert Murdoch, quand les nuages s'amoncellent sur un de leurs reportages. Annoncé à grand renfort de publicité, celui-ci s'intéresse à une hormone de croissance administrée aux vaches pour stimuler leur production de lait. Vendue par Monsanto, la RBGH ne serait pas sans risque pour les bovins ainsi traités et pour ceux qui boivent leur lait. D'ailleurs, Monsanto a attaqué deux laiteries qui fondaient leur publicité sur le fait que leurs vaches n'étaient pas traitées à la RBGH. Alerté par la campagne radiophonique annonçant l'émission, Monsanto dépêche ses avocats pour mettre en garde la chaîne et la prévenir que, dans une affaire de ce genre, la firme Food Lion vient d'obtenir 5,5 millions de dollars de la part d'ABC, reconnue coupable d'avoir diffusé un reportage où l'on voit des employés préparer de la viande hachée avariée destinée à la vente. L'émission est déprogrammée, une fois, deux fois. La direction de la chaîne ne peut pas mettre le sujet à la poubelle le coeur léger, puisque sa diffusion a été annoncée. Une seule solution : convaincre Jane et Steve de modifier leur sujet selon les voeux de Monsanto. Ils sont l'objet tantôt de menaces (licenciement pour « insubordination » ), tantôt d'alléchantes propositions (un salaire de rêve pour un poste de « consultant » de la chaîne, après avoir signé une clause de confidentialité absolue). Ils refusent de travestir la réalité et préfèrent le licenciement. Sans indemnités. A titre posthume, si l'on ose dire, la Society for Professional Journalism, la plus grande association professionnelle du pays, leur a décerné en 1998 le prix de la Déontologie.

La peur des procès joue un rôle primordial dans la censure, ou plutôt l'autocensure. Greg Palast a dû franchir l'Atlantique pour raconter l'histoire de la fraude électorale en Floride lors du duel présidentiel Gore-Bush. CBS n'a jamais voulu diffuser son sujet. La BBC y a consacré quatorze minutes.

Cette intrusion des hommes de loi dans les salles de rédaction a contribué à créer un nouveau métier au nom bizarre : « éthiciste ». « J'ai découvert cette figure moderne et morale du censeur lorsque j'ai réalisé pour CNN un sujet sur les agents et les managers à Hollywood, raconte Kristina Borjesson. Je racontais comment certains se faisaient payer à la fois par les stars et par les studios. Avant d'être diffusé, mon reportage est passé au tamis de deux avocats et du fameux "éthiciste", qui me demandait de tenir des propos plus généraux, de ne pas dire de choses si négatives sur une personne en particulier, bref, qui édulcorait complètement mon travail. C'est bien le signe que le mal se propage au-delà de thèmes à risques, comme le complexe militaro-industriel ou les grands conglomérats. Le show-business aussi inspire une certaine crainte ! »

Source : http://www.lepoint.fr/actualites-monde/des-journalistes-sur-liste-noire/924/0/55060 ().

Les dérives du 4ème pouvoir au pays du 1er amendement :

A l'heure où les médias américains commencent enfin à s'interroger sur leur couverture patriotiquement enthousiaste de la guerre en Irak, l'essai de Kristina Borjesson sur le "mythe d'une presse libre" (titre original) est d'une actualité brûlante. Cette journaliste et productrice audiovisuelle indépendante a rassemblé les témoignages de quinze confrères qui ont tous été blackboulés pour avoir persévéré dans des enquêtes par trop sensibles. 

Un reporter du San Jose Mercury News a été contraint de démissionner, et le journal de publier un désaveu, lorsqu'une de ses enquêtes a révélé le soutien de la CIA aux narcotrafiquants sud-américains. Un journaliste de l'Associated Press s'est trouvé confronté à la franche hostilité de sa hiérarchie lorsqu'il travaillait sur une plainte pour crimes de guerre déposée contre les Etats-Unis par des civils sud-coréens, et a dû démissionner. Un journaliste indépendant a vu son livre d'enquête sur une puissante famille d'industriels sabordé par sa maison d'édition. Ainsi, les quinze récits, solidement argumentés et documentés, détaillent les multiples pressions auxquelles ont été soumis des journalistes d'investigation lorsqu'ils ont tenté de mettre au grand jour les intérêts occultes des puissants. Ces reporters nourris d'idéaux ont été traités de "fouille-merdes", ou accusés de souscrire à des théories du complot farfelues, comme Borjesson lorsqu'elle a soulevé la question de la probable responsabilité de la CIA dans le crash du vol TWA en 1996. Puis ceux qui ont persisté dans leur quête de la vérité en ont payé le prix à travers un licenciement ou un ruineux procès en diffamation. 

Loin de se résumer à un simple règlement de comptes, Black List se livre à une autocritique bien étayée, se penchant sur les principaux facteurs de la décadence des médias américains. Tout d'abord, la concentration des grands groupes de communication freine les velléités d'enquête sur des sujets touchants aux intérêts des propriétaires ou annonceurs et nuit au pluralisme. En effet, la qualité de l'information souffre quand les groupes de médias donnent davantage la priorité aux sujets racoleurs type procès d'OJ Simpson ou affaire Monica Lewinski, qui dopent l'audience et donc les budgets publicitaires, plutôt qu'aux sujets d'investigation, forcément plus longs et coûteux à réaliser. Ensuite, les menaces judiciaires pesant sur les rédactions sont telles que les chaînes de télévision font de plus en plus intervenir leurs avocats dans le processus de décision éditoriale, afin d'éviter les risques de procès, avec à la clef des millions en dommages et intérêts. Enfin, les journalistes eux-mêmes se sont certes professionnalisés grâce aux écoles de journalisme, mais en contrepartie, se sont rapprochés de l'élite politique et économique, devenant de moins en moins défiant à l'égard du pouvoir auquel ils sont censés faire contrepoids. 

La lecture de Black List peut décourager : n'assiste-t-on pas à la mort du journalisme d'investigation à la Woodward et Bernstein (révélateurs du scandale du Watergate), auxquels se réfèrent la plupart des auteurs du livre ? On peut au contraire un tirer une conclusion beaucoup plus optimiste, comme le fait Michael Levine, ancien douanier et agent secret devenu journaliste pour pouvoir dénoncer la vaste manipulation qu'est la prétendue lutte contre la drogue : "Si [le milieu des médias] est, dans l'ensemble, aux mains de personnages facilement intimidables et manipulables, il y subsiste des journalistes prêts à prendre des risques pour dénoncer les dérives du pouvoir." Donc une raison d'espérer dans les médias... 

Source : http://www.parutions.com/pages/1-6-63-4698.html ().

Une vidéo qui soulève le tapis immonde de la belle démocratie américaine sous lequel les saletés des services secrets, du FBI, des lobbies de toutes sortes, et les compromissions des journalistes, s'amassent allégrement dans l'indifférence générale. Bien que datant un tout petit peu, cette vidéo demeure plus que jamais d'actualité... À voir absolument.


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